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Au nom de Dieu

Eloignés de leurs familles, confrontés à l’angoisse de l’attente et celle de la mort, les poilus n’avaient bien souvent comme seul refuge la croyance et les prières. Dieu comme seul compagnon certain d’un avenir entre ciel et terre


            Jacques Georges Marie Froissart avait dix-sept ans en 1914. Fils d’un avocat parisien, et engagé volontaire à la fin du mois d’avril 1916, il fut d’abord téléphoniste puis aspirant dans l’artillerie au 217e RAC (régiment d’artillerie de campagne). Jacques tomba le 14 septembre 1918 d’un éclat d’obus reçu en plein cœur.



            Mes chers parents,


            Lorsque vous lirez cette lettre, Dieu m’aura fait l’honneur de m’accorder la sacrée mort que je pouvais souhaiter, celle du soldat et du chrétien.

            Que ce soit sur un champ de bataille ou dans un lit d’hôpital, je l’accepte comme dès le premier jour où je voulus m’engager. J’en accepte l'idée sans regrets et sans tristesse. Je ne peux pas vous dire de ne pas me pleurer, car je sais la douleur que vous causera ma disparition, mais ne regardez point la terre qui me recouvrira. Levez les yeux vers le ciel où Dieu me jugera et me donnera la place que j’aurai méritée.


            Priez pour moi, car j’ai été loin d’être parfait. D’où je serai, près des chers morts que j’aurai été rejoindre, je ne vous oublierai pas. C’est vous qui m’avez fait ce que je suis devenu ; que cette idée vous console et qu’elle vous encourage à faire de celle que vous m’aviez donné mission de garder et de protéger à vos côtés une femme qui soit digne d’être votre fille. Lorsque je ne serai plus là, qu’elle sache combien je l’ai aimée. Parlez-lui quelquefois de moi.


            J’avais l’ambition d’accomplir dans la vie une mission que je m’étais tracée, celle d’être le guide, le flambeau dont a parlé Claude Bernard, celui qui peut être fier d’avoir vécu pour les autres en leur enseignant les principes droits par la parole et par la plume. Je voulais écrire parce que c’était à mes yeux la plus noble profession et je voulais vivre pour suivre la voie que ma conscience m’indiquait, mais, vous avez le droit de le savoir, d’autres étaient plus utiles que moi, soit que chefs de famille ils eussent déjà créé alors que je n’étais que le futur, soit que ministres du Christ, ils fussent appelés à façonner des hommes, à créer des Français et des Chrétiens.


            Pour eux, j’ai offert à Dieu le Sacrifice de ma vie. J’ai chaque soir prié pour que la mort les épargne en me frappant, et mourir pour eux est presque trop beau pour moi puisque j’ai conscience de ne les valoir pas.


            Jacques FROISSART